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Astrid Viaud, Docteur en Sciences politiques (UCL), spécialiste des sanctions économiques du Conseil de sécurité des Nations unies, des États-Unis et de l'Union européenne, explique la nouvelle réglementation européenne MiCA (Markets in Crypto-Assets)

Face à l’essor du recours aux cryptoactifs indépendants par les entreprises européennes de taille petite ou intermédiaire à forte exposition internationale[1], la commission des affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen a voté le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets), le 10 octobre 2022. Ce projet a pour principal objectif de fixer un cadre commun à tous les États Membres de l’Union européenne (UE) ayant élaboré leur propre réglementation sur les cryptoactifs. L’Allemagne, la Lituanie, Malte et la France sont les plus avancés. Considérant notamment l’augmentation du nombre des cyberattaques liées aux cryptomonnaies qui passent de « 2,9 % de toutes les cybermenaces signalées en [janvier] 2021, [à] 8,4 % de février à octobre 2021 »[2], les institutions européennes entendent instaurer un cadre réglementaire de protection des consommateurs applicable aux plateformes en cas de perte ou de piratage des actifs des investisseurs.

C’est sans compter sur la volonté européenne de pallier aux risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, pouvant être permis par la non-traçabilité des transactions effectuées dans le cadre d’une finance décentralisée et non adossée aux banques centrales. Les États membres de l’UE restent alignés avec les recommandations 15 et 16 du Groupe d’Action Financière (GAFI) comme par exemple vis-à-vis de la ‘Travel Rule’ sur la transparence quant à l’origine et le bénéficiaire des cryptoactifs. Il n’y a donc pas de différence majeure entre le texte européen et le GAFI sur les points essentiels de la conformité. De même que les prestataires de service dont le siège est basé sur le territoire d’un État tiers considéré « comme étant à haut risque en matière d'activités de lutte contre le blanchiment de capitaux ainsi que sur la liste de l'UE des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales seront tenus de mettre en œuvre des contrôles renforcés conformément au cadre de l'UE »[3].

Entre exigences réglementaires, contrôles et promotion d’une technologie innovante en matière d’investissements, le futur règlement MiCA n’est pas sans susciter les controverses sur l’encouragement ou le frein potentiel au recours de la solution que les cryptoactifs représentent pour les entreprises. D’une part, les plateformes de vente et d’échange de cryptoactifs manifestent quelques craintes quant à l’élaboration d’un cadre réglementaire trop éloigné de la réalité des affaires et du positionnement d’autres juridictions, notamment en Afrique. D’autre part, à l’opposé, le monde de la conformité bancaire appelle les instances de décisions européennes à un contrôle strict. L’accord provisoire auxquels étaient parvenus le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen le 30 juin 2022 faisait l’objet d’un équilibre entre les différentes visions. Or, la fuite d’une version à jour du texte de compromis en septembre 2022 a laissé entrevoir que le projet contenait des dispositions nouvelles qui pourrait freiner l’adoption des cryptomonnaies indépendantes par les entreprises européennes. Le projet finalement adopté, sensiblement différent ne devrait pas rentrer en vigueur avant la fin de l’année 2024. Il dessine d’ores et déjà une vision politique de l’arbitrage entre deux visions de la finance et des perspectives d’appropriation de ce nouvel outil par les entreprises.

En effet, les cryptomonnaies indépendantes peuvent être considérées, par les entreprises, comme étant une solution alternative à la difficulté posée par la sur-conformité des établissements bancaires, qui préfèrent refuser d’opérer, par précaution, des transactions pourtant autorisées face à la complexité du nexus américain et la conflictualité potentielle des régimes de sanctions européens et outre-Atlantique. Désormais, une entreprise peut acheter des cryptomonnaies dites stablecoins, par exemple émises par une société qui stock x grammes d’or ou x dollars par cryptomonnaie pour éviter la volatilité, et les envoyer au destinataire sans passer par une banque. Si les questions de conformité demeurent dans le cadre de la finance décentralisée, la sur-conformité des banques disparaît. Le coût initial de ces vérifications est alors amorti par les économies de frais bancaires. Les transactions deviennent quasi-instantanées alors que plusieurs semaines seraient nécessaires avec une des rares banques qui accepterait de procéder à la transaction. Le recours aux cryptomonnaies offre alors un accès à de nouveaux marchés prometteurs.

Cependant, les bénéfices de l’usage des cryptomonnaies indépendantes pourrait être limités par ces nouvelles dispositions du règlement MicA. En l’état, l’intégration des tokens non fongibles (NFT) et des stablecoins algorithmiques ainsi que la question de la concurrence déloyale de plateformes étrangères, non soumises à MiCA, sont les points les plus problématiques. Ces mesures affectent particulièrement les plateformes européennes, qui procèdent aux paiements et échanges pour les entreprises. Les plateformes sont désormais amenées à renforcer leur conformité, engendrant ainsi des coûts et des délais répercutés. Ainsi des entreprises ayant recours ponctuellement à une plateforme seront-elles dissuadées, l’avantage compétitif de ces plateformes sur les banques n’étant plus aussi attractif. D’autres, qui ont un besoin continu et important, vont continuer à y recourir ou procéder directement à ces transactions, sans plateformes, quitte à investir et former leurs équipes. Enfin, c’est une solution de compromis, certains acteurs économiques peuvent recourir à des plateformes non-européennes, ce qui n’est pas interdit tant qu’il n’y a pas sollicitation active.

Le problème est donc plus profond, la différence croissante entre la réglementation restrictive de l’Union européenne et celle d’autres juridictions plus accommodantes. Le choix même de procéder par un règlement exhaustif, là où les États-Unis veulent réglementer par décisions judiciaires progressives, ne permet pas la flexibilité nécessaire à un secteur innovant. La question se pose alors des enjeux sous-jacents à ce choix. L’Union européenne, à la différence de Washington, envisage de mettre en place une monnaie numérique de banque centrale, le e-euro, lequel est un concurrent pour les cryptomonnaies indépendantes et les stablecoins … une partie de ces derniers devraient être régulés par MiCA.

 

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Astrid Viaud, Docteur en Sciences politiques (UCL), spécialiste des sanctions économiques du Conseil de sécurité des Nations unies, des États-Unis et de l'Union européenne, explique la situation actuelle autour des cryptomonnaies et les avantages que les entreprises ainsi que les individuels peuvent en tirer.

Outil numérique intraçable de développement commercial, les cryptoactifs constituent une technologie innovante permettant aux entreprises qui y recourent de réduire les frais et délais bancaires de leurs transactions. Face à la réglementation croissante, de la part des États et de l’Union européenne[1], et à leur appropriation par les banques, cet instrument pourrait passer de challenger à Maverick, soit une tendance non-conformiste.

Les entreprises européennes, et tout particulièrement les petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que les entreprises de taille intermédiaire (ETI) françaises, ont été fortement encouragées par leurs gouvernements à se déployer à l’export pour y chercher les liquidités qu’elles ne trouvaient plus facilement depuis la crise générée par les mesures anti-COVID[2]. Ce faisant, elles ont dû faire face à de multiples difficultés bancaires : frais jugés démesurés, délais inadaptés et sur-conformité. Par exemple, une entreprise française qui importe du cacao pour le transformer se voit souvent confrontée à des frais bancaires considérés comme élevés pour un virement vers la Côte d’Ivoire. Ceux-ci s’expliquent par une part structurelle liée aux frais de la banque mais aussi au réseau local. Ledit virement ne se fera pas sans des délais rallongés et sans multiplication de demandes documentaires. Résultat, le coût du produit brut rogne la marge et les délais perturbent la production. Le canal bancaire classique devient alors un frein conséquent. Cette tendance est particulièrement observable sur des marchés exigeants tels que les secteurs autorisés des pays sous sanctions ou les marchés dit « frontières », c’est-à-dire présentant un fort potentiel commercial mais n’assurant pas encore assez de liquidité et de réseaux financiers fiables.

L’utilisation des cryptoactifs par les entreprises pour ces transactions est en augmentation, « l'Europe [étant] la plus grande crypto-économie au monde, en recevant quelque 1.000 milliards de dollars en crypto-monnaies [en 2020], ce qui représente 25% de l'activité mondiale. Les États-Unis sont la deuxième région en importance, avec 750 milliards de dollars en valeurs reçues, soit 18% »[3]. Un cryptoactif est un actif numérique généré par cryptographie et émis de pair-à-pair au moyen d’un réseau informatique décentralisé. La vérification du solde créditeur, la compensation et la tenue des livres de comptes sont assurés par une multitude de tiers de confiance décentralisés que constituent les ordinateurs. La confirmation de tous est requise pour valider la transaction. L’un de ces tiers reçoit aléatoirement une compensation financière.

Le recours aux cryptoactifs s’avère quasi-instantané, plus sûr et surtout beaucoup moins cher du point de vue des entreprises. Des solutions se dessinent pour maintenir ces avantages en toute conformité avec les stablecoins régulés et promus par les États-Unis ainsi qu’avec les cryptoactifs adossés à la Banque Centrale de Chine. Le risque de volatilité est compensé par ces stablecoins, actifs numériques adossés à 100% de sa valeur par de l’or ou des dollars. La réglementation européenne annoncée (MiCA) semble restrictive malgré la traçabilité que permet la Blockchain, technologie sous-jacente aux cryptoactifs. Les banques, et autres plateformes, s’empressent donc d’intégrer ces produits à leur offre en promettant de garantir la conformité des opérations avec l’enregistrement PSAN de l’Autorité des Marchés Financiers. On a alors avec un Maverick, c’est-à-dire une innovation réelle mais loin de ce qui était espéré initialement.

C’est à ce point d’évolution du marché bancaire et financier que les cryptoactifs prennent une dimension géopolitique décisive. Les cryptoactifs, qu’ils soient indépendants ou émis par une banque centrale, contestent à la fois l’hégémonie du dollar et l’efficacité des sanctions américaines. D’une part, ils offrent une alternative comme réserve de valeur, dans la mesure où le recours à la planche à billets est impossible pour la plupart de ces monnaies,[4] et moyen d’échange, car décentralisée donc peu perméables aux pressions politiques. D’autre part, ces monnaies empêchent les remontées d’information qui permettent aux États-Unis de sanctionner facilement. Washington promeut donc l’usage de stablecoins adossés au dollar et classées comme securities donc encadrés par la Security and Exchange Commission (SEC). Cela renforcerait considérablement la place du dollar. La Chine, à travers notamment le Partenariat Économique Régional Global, soit le plus important accord de libre-échange au monde[5], promeut progressivement l’usage de monnaies locales et surtout les cryptoactifs de banques centrales, capables de contester la place du dollar en gardant un contrôle étatique et la connexion au système bancaire.

L’Union européenne, quant à elle, ne cesse de tergiverser sur l’opportunité d’un e-euro mais semble avoir pris le parti d’une réglementation stricte des cryptoactifs indépendants, au risque d’affaiblir leur utilité. D’autres juridictions, en Afrique notamment, ont fait des progrès considérables vers ces monnaies de banque centrale[6]. Les cryptomonnaies ne représentent qu’une partie des cryptoactifs susceptibles de faciliter les transactions des entreprises françaises (NFT notamment). Ceux-ci forment, avec des instruments innovants comme les smart contrats, l’écosystème de la finance décentralisée. Le potentiel est important pour les entreprises européennes à l’international… si la réglementation à venir accepte d’en tenir compte.

 

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Alexandra De Sutter clarifies the stakes around Taiwan and what we need to do to keep an advantage against China.

            Taipei (Taïwan), 2-3 août 2022. Une visite surprise de la présidente de la Chambre des représentants du Congrès américain Nancy Pelosi s'est déroulée et la nouvelle retentit à travers l'Asie-Pacifique[1]. Pékin a réagi vivement en déployant dès le 4 août des navires et des avions autour de Taïwan, en guise d'« exercices aéromaritimes d’ampleur », et en incluant des tirs de missiles balistiques[2]. De nombreux drones militaires chinois (BZK-007) sont entrés dans la zone d'identification de défense aérienne (ADIZ) de l'île[3]. Plusieurs avions chinois ont d'ailleurs franchi la ligne médiane du détroit de Taiwan[4]. Rien que le 20 août, le ministère taïwanais de la Défense ont signalé 17 avions de guerre et 5 bâtiments de l'armée chinoise dans les environs de l'île[5]. Toujours, selon le ministère, sept des 17 avions (deux bombardiers Xi'an JH-7, deux Sukhoi-30, deux Shenyang J-11 et un Shaanxi Y-8 anti-sous-marin) ont franchi la ligne médiane séparant la Chine et Taïwan dans le détroit, ou se sont aventurés dans le secteur sud-ouest de la zone d'identification de la défense aérienne (ZIDA) de Taïwan[6]. Selon une base de données élaborée par l’AFP à partir des signalements militaires taïwanais, on a compté quelque 446 incursions aériennes d’avions de guerre chinois à Taïwan en août, et 1.100 depuis le début de l’année[7].

            Toutefois, ces réactions chinoises n'ont rien de nouveau. Depuis l'avènement de la Chine populaire et l'exil de Chiang Kai-Shek à Taïwan en 1949, la question de l'île reste un objet de discorde entre Pékin et Taipei[8]. Le premier considère Taiwan comme sa province, alors que les Taïwanais veulent conserver leur indépendance, à l'opposition du « principe de la Chine unique » (One China principle)[9].

            Ensuite, malgré que les pays occidentaux (à l'exception du Vatican) ne disposent plus d'ambassades à Taipei, ils ont maintenu et accru leurs contacts avec les officiels taïwanais[10].

            Déjà en 1979, malgré la reconnaissance de la Chine populaire par Washington, les États-Unis ont ratifié le Taiwan Relations Act (TRA), à travers lequel ils s’engageaient à fournir des armes à Taïwan en quantités suffisantes pour lui permettre de se défendre en cas d’agression militaire[11], et cet engagement existe encore de nos jours[12]. Les Six Assurances du président Ronald Reagan (1982) caractérisent également l'engagement américain envers Taïwan[13]. Elles consistent : (1) à ne pas définir de date pour la cessation de la livraison d’armements à Taiwan ; (2) à ne pas consulter Pékin sur les ventes d’armes à Taiwan ; (3) à ne pas jouer de rôle de médiateur entre Taipei et Pékin ; (4) à ne pas réviser les termes du TRA ; (5) à ne pas changer sa position sur la question de la souveraineté de Taiwan ; et enfin, (6) à ne pas exercer de pressions sur Taipei pour ouvrir des négociations avec Pékin[14].

            Le 2 septembre, le gouvernement des États-Unis d’Amérique a autorisé trois nouvelles ventes d’armes à Taiwan pour un montant total de 1,1 milliard de dollars américains, qui portent sur un soutien logistique au programme de surveillance radar et les équipements liés, incluant 60 missiles AGM-84L-1 Harpoon Block II, et 100  missiles AIM-9X Sidewinder Block II[15]. Selon le ministère taïwanais des Affaires étrangères, il s'agit de la cinquième annonce de ventes d’armes à Taiwan par l’administration Biden cette année, et de la sixième depuis l’investiture du président américain en janvier 2021[16].

            Outre Pelosi et d'autres parlementaires américains[17], les officiels japonais[18], ainsi que certains représentants européens (lituaniens, tchèques et slovaques) ont aussi effectué des visites récentes à Taipei[19], tout comme les Français récemment (le 7-8 septembre)[20]. Les Canadiens préparent pour octobre 2022 une prochaine visite parlementaire[21]. Pékin voit d'un mauvais œil ces approfondissements de relations[22].

            En effet, en plus de la mer de Chine méridionale (îles Paracels et archipel Spratleys), Pékin revendique plusieurs îles le long de ses côtes orientales : hormis Taïwan figurent également les îles japonaises de Senkaku[23]. Cela provoque une inquiétude de Tokyo voire de Washington, en raison de ses bases militaires situées dans la région (Okinawa au Japon)[24].

            Cependant, Taïwan est l'objet de convoitises à la fois pour Pékin et Washington, non seulement en raison de son endroit stratégique (détroit de Taïwan), mais aussi à cause de son potentiel industriel (usines ultra hi-tech) et son patrimoine technologique (production des semi-conducteurs)[25].

            L’industrie taïwanaise des semi-conducteurs, indispensables à la fabrication de produits de haute technologie (téléphones, avions, panneaux solaires, etc.) et cruciaux pour l’économie mondiale, représente une grande partie de la production mondiale (63 %)[26]. Les usines taïwanaises sont capables de graver à grande échelle des puces avec une précision de 3 nanomètres (3 millionièmes de millimètre), qui sont vendues dans le monde entier et équipent nos voitures, trains, avions, réfrigérateurs, téléphones (90% des dernières générations de smartphones, toutes marques confondues).[27] Qu'elles soient asiatiques, européennes ou américaines, les plus grandes marques sont devenues ultra-dépendantes de ces semi-conducteurs taïwanais[28]. Les semi-conducteurs les plus avancés sont en grande partie fabriqués par la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) (numéro un mondial des semi-conducteurs)[29]

            Foxconn, une des entreprises technologiques les plus importantes de Taïwan, est le principal fournisseur en électronique d'Apple et assemble ses iPhone[30]. Également le premier employeur privé de Chine, Foxconn subit des pressions de la part des autorités taïwanaises pour renoncer à un investissement de 800 millions de dollars dans la société chinoise Tsinghua Unigroup, qui fabrique des puces électroniques[31]. Derrière ces pressions se trouve une crainte des autorités de voir une entreprise chinoise renforcée qui aidera la Chine à atteindre ses ambitions technologiques dans sa lutte à distance avec les États-Unis, d'autant plus que la société d'investissement chinoise WiseRoad Capital, ayant des liens étroits avec le gouvernement de Pékin, est nommée dans l'accord d'investissements à côté de Foxconn[32]. D'ailleurs, les États-Unis cherchent à réduire leur dépendance de la Chine, et début août 2022, Joe Biden a signé une loi intitulée CHIPS and Science Act, qui débloque 52 milliards de dollars de subventions pour relancer la production de semi-conducteurs aux États-Unis[33].

            En plus d'être leader mondial en production de puces (ou semi-conducteurs), Taïwan reste aussi un endroit stratégique que Pékin cherche toujours à contrôler : le détroit de Taiwan, ayant 130 km de large entre la République populaire de Chine et l’île de Taïwan, désigne aussi une importante route commerciale entre la mer de Chine du Sud et celle de l’Est[34], principalement pour les navires de marchandises reliant la Chine, le Japon, la Corée du Sud et Taïwan à l'Occident[35].  Selon les données compilées par Bloomberg, près de la moitié de la flotte mondiale de conteneurs, soit 48 % des 5 400 porte-conteneurs opérationnels dans le monde, et 88% des plus gros navires du monde en tonnage ont transité par ce détroit cette année[36].

            L'île possède encore l’avantage d’offrir sur ses côtes orientales un accès direct à l’océan profond, ce qui permettrait à la Chine de construire une nouvelle base de sous-marins lanceurs d’engins (SNLE) et de se rapprocher des côtes américaines[37].

            Néanmoins, malgré les menaces d'une guerre ouverte, les acteurs économiques et politiques travaillent à éviter une escalade par crainte d'une paralysie de l'économie mondiale[38]. Cependant, pour garantir la sécurité et la stabilité de l'approvisionnement ainsi que répondre à l'influence chinoise, l'initiative Indo-Pacific Economic Framework a vu le jour, lors de la visite de Biden au Japon en mai dernier, et un sommet réunissant 14 pays (En plus des USA et du Japon, l'Australie, le Brunei, les Fidji, l'Inde, l'Indonésie, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, la Corée du Sud, la Thaïlande et le Vietnam) a débuté le 8 septembre à Los Angeles[39].

            Enfin, l'éventuelle rencontre des présidents américain Joe Biden et chinois Xi Jinping, dans le cadre du G20 à Bali (Indonésie) en novembre 2022[40], pourrait nous éclairer davantage sur le destin de Taïwan, voire celui de l'Asie-Pacifique, dans les années à venir...

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            On the 25th of September Italians will go to the polls to elect a new Government after snap elections were called in the middle of summer. Political turmoil is not uncommon in Italy and even Mario Draghi was not able to survive the unstable Italian political scene.

The fall of Mario Draghi

            Draghi was leading a national unity Government composed of basically every major party in Parliament except Giorgia Meloni's Fratelli d'Italia (ECR). The Premier lost its majority after a crisis started by the 5 Stars Movement (NI) leader Giuseppe Conte, following his threats of pulling out of the Government unless more 5 Stars policies would be included in the agenda. Thereafter, Mario Draghi had to address the Parliament regarding the ongoing crisis. His speech disappointed two other parties in the majority, Forza Italia (EPP) and Lega (ID), which had some complaints about certain passages of Draghi's speech. Lega and Forza Italia, then, proposed to continue with Draghi as a leader of Government but requested in exchange the assurance that the 5 Stars would not be included in the new majority. No agreement was found and as a result the government finally fell.


The players

            Following the fall of Draghi, the parties scrambled to form alliances and coalitions for the upcoming elections. Two liberal parties (Azione and +Europa, Renew Europe) and socialists (PD + minor parties, S&D) were very close to find a deal to make a coalition in order to have a chance to challenge the center-right bloc and even signed an official agreement to present a common coalition. Shortly after, the liberals from Azione, led by Carlo Calenda, broke off the coalition, while +Europa decided to stay. Following this split, Azione founded an alliance with Italia Viva (RE), the party led by the ex-Premier Matteo Renzi.

            PD (S&D) later decided to include some minor far-left parties in its coalition, furtherly positioning itself on the left, making it easier for the liberal coalition to eat out its votes from the center/moderates. PD presented voters with a programme centered on three 'pillars': Sustainable development and ecological and digital transitions; Jobs, knowledge, and social justice; Rights and citizenship.

            One of the minor parties included in the socialist alliance is called “Sinistra Italiana”, led by Nicola Fratoianni, known for its far-left positions on economic matters and skeptical views on NATO (opposed to the entrance of Finland and Sweden after the Russian invasion). The inclusion of Sinistra Italiana in the coalition led to critiques from all sides towards PD and its secretary Enrico Letta. Sinistra Italiana used to sit in the opposition seats during the Draghi Government.


Survey on August 29th

            Luigi di Maio, the outgoing Minister of Foreign Affairs, left the 5 stars movement earlier before the political crisis caused the fall of the Draghi Government, after some disagreements with Giuseppe Conte on the positioning of the party on the Russian-Ukrainian conflict. Tens of 5 Stars members of parliament followed Di Maio and left the movement. Di Maio, then, founded a political list called “Impegno Civico” which will be running together with the center-left coalition led by PD.

            In the meantime, Giuseppe Conte confirmed that the 5 stars movement will be running alone in the 2022 elections.

            This is the best scenario for the centre-right coalition composed by Giorgia Meloni's Fratelli D'Italia, Matteo Salvini's Lega, Silvio Berlusconi's Forza Italia (EPP) and the centrist list Noi Moderati (EPP). The coalition is consistently polling around 48%, and with the current electoral law the center-right is projected to win a majority in both chambers, Camera and Senato. The center-right coalition has an internal agreement regarding which party will be choosing the name to be proposed to the President to lead the Government. The party which will have the highest number of votes will be choosing the name. With today's percentages, Fratelli d'Italia should be the party nominating the future Premier and Giorgia Meloni is likely to be the candidate.

           

The favorites

            This is the first chance in years for the center-right to regain power after its last government, which was led by Silvio Berlusconi until its collapse in 2011. Eleven years later Berlusconi is ready for his comeback to Italian politics after his election as a Member of the European Parliament in 2019.

            While Giorgia Meloni aims for the premiership, Matteo Salvini is focusing Lega’s campaign on the security topic and his potential return as Minister of the Interior. Italy has been one of the main targets of illegal crossings and human traffickers through the Mediterranean sea and during this year’s summer, the numbers of arrivals have once again skyrocketed and are reaching pre-covid numbers.

            The center-right coalition presented a common electoral programme, composed of 15 points. The initial point concerns the international positioning of Italy, defined as "fully part of Europe, the Atlantic Alliance and the West", and with the setting of a "foreign policy focused on the protection of the national interest and the defense of the homeland".

            The document deals with various topics, including tax and justice reforms, passing through the review of certain welfare issues, the fight against illegal immigration, and environmental protection. The programme also includes a “revision of the PNRR (Recovery Plan) according to the changed conditions, needs and priorities" and the proposal of a reform of the Constitution, resulting in the direct election of the President of the Republic and the increase of regional autonomies.

The Outsiders

            The liberal coalition formed by Calenda’s Azione and Renzi’s Italia Viva is polling around 5% (the threshold to enter Parliament is 3%) and has as its main target the moderate centrist electorate. Its programme is composed of progressive points and pragmatic views on energetic issues such as the necessity of the use of nuclear energy never used to this day in Italy.

            On this point, the liberal coalition converges toward the center-right. The energy crisis is one
of the main topics being discussed during this election campaign which worries the most Italian voters. The high utility bills are already claiming victims among companies, the price increases will also weigh heavily on households. The center-left coalition and the 5 Stars are strongly against the use of nuclear energy, while the liberal coalition and the center-right are strongly in favor of its use and believe that any environmentally clean tool should be used to fight the energy crisis and move towards the energetic autonomy of Italy.


What to expect after the 25th of September

            The center-right is projected to win, but what can we expect from the newborn Government? The conservatives will have to deal with one of the major crises in our recent history, the Russian-Ukrainian conflict, surging gas prices, and inflation. Furthermore, Brussels will be watching and will expect Italy to maintain the promises made during the Draghi Government. What will be the situation of Italian Government during one of the hardest winters in decades in Europe?

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Alexandra De Sutter, policy & special advisor, explains another major issue in Europe, which is not only energetic but mostly ideological, geostrategic and military. While Serbia keeps good relations with Russia, Kosovo hosts the biggest NATO base in Europe, camp Bondsteel. The conflict in Kosovo lasts for more than two decades and the remaining tensions can lead at any time to more instability and adversity.

            Quatorze années se sont écoulées depuis la proclamation de l'indépendance du 17 février 2008 à Pristina au Kosovo, et la situation reste toujours tendue dans cette partie des Balkans occidentaux[1].

            Belgrade refuse de reconnaître l'indépendance de ce qu'il considère comme sa province méridionale[2]. Plusieurs autres états européens, y compris ceux de l'UE et de l'OTAN comme l'Espagne, la Slovaquie, la Roumanie et la Grèce, refusent de reconnaître le Kosovo comme un état indépendant[3]. Chypre, la Bosnie-Herzégovine, les trois pays du Caucase du Sud ainsi que la Moldavie, l'Ukraine, la Biélorussie et la Russie refusent aussi de reconnaître son indépendance[4]. Cette opposition existe toujours, et pour plusieurs raisons telles que les préservations de l'intégration territoriale et des zones d'influence[5].

            En outre, la déclaration de l'indépendance s’est inscrite dans un contexte où le Kosovo était ravagé par la guerre (1998-1999) entre les séparatistes albanais de l'UÇK et les autorités yougoslaves, ainsi que par les bombardements de l'OTAN sur la Yougoslavie (mars et juin 1999[6]). Ces deux événements ont laissé des souvenirs encore vifs au sein des populations Kosovares et Serbes[7]. Les États-Unis et leurs alliés européens appuyaient les Albanais, alors que la Russie et la Chine condamnaient les bombardements de l'OTAN[8].

            Malgré tout, pour résoudre le conflit serbo-kosovar, l'UE, comme les USA, ont organisé de nombreux sommets avec les représentants serbes et kosovars, qui n'ont toujours pas débouché sur un apaisement total des tensions[9]. Même les accords de Bruxelles en 2013, et ceux de Washington en 2020, n’ont pas aboutis aux résultats escomptés d'une normalisation pleine[10].

            De nos jours encore, de nombreuses missions de l'UE, comme EULEX Kosovo, et de l'OTAN, comme le KFOR, restent en place dans le pays, en vue de garantir la stabilité et la sécurité des Balkans[11].

            Fin juillet 2022, les décisions frontalières du gouvernement de Pristina, portant sur les plaques minéralogiques et les documents de séjour, avaient débouché sur des protestations au sein de la population serbe au nord du Kosovo[12]. Les barricades posées alors par les Serbes, bloquant les postes-frontières en ces lieux, avaient mis en alerte les forces de l'OTAN[13]. Finalement, c'est suite à l'intervention de l'ambassadeur américain, Jeffrey Honevier, que les décisions de Pristina avaient été reportées, permettant un retour au calme[14].

            Tout ceci illustre bien combien les tensions entre la Serbie et le Kosovo ne concernent pas uniquement Albanais et Serbes, mais plusieurs puissances (États-Unis, Union européenne, Russie, Chine) qui répartissent leurs zones d'influences dans les Balkans occidentaux[15].

            A l'exception de la Croatie et de la Slovénie, les pays des Balkans occidentaux ne sont pas membres de l'Union européenne[16], tandis que les négociations d'adhésion pour Serbie et Kosovo tournent au ralenti[17]. De plus, les deux États sont, avec la Bosnie-Herzégovine, les seuls dans les Balkans ne pas être membres de l'OTAN[18]. Pourtant, le Kosovo abrite le plus important base militaire de l'Alliance transatlantique : le camp Bondsteel (3.86 km²), capable d'accueillir jusqu'à 7000 hommes[19]. Les forces KFOR comptent plus de 3770 hommes issus de 28 pays[20]. Toutefois, l'OTAN et la Serbie ont approfondi leurs coopérations, y compris sur la sécurité au Kosovo[21].

            En parallèle, la Turquie et les pays arabes du Golfe, tout comme la Russie et la Chine, ont accru leurs investissements économiques et culturels, voire énergétiques, dans les Balkans occidentaux (Serbie et Kosovo compris)[22]. Tandis que les États-Unis et leurs alliés soutiennent militairement Pristina (le cas de la création de l'armée kosovare, désapprouvée par les Serbes)[23], Moscou et Pékin livrent Belgrade en matière d'armements[24]. Par exemple, en 2019, la Serbie s'est procurée auprès de la Russie le système sol-air de courte portée Pantsir-S1 (portée de 20 km)[25]. En 2020, la Serbie a obtenu des drones chinois Chengu Pterodactyl-1, « capables d'attaquer des cibles avec des bombes et d'effectuer des tâches de reconnaissance »[26]. Enfin, en avril 2022, six avions Y-20 de l'armée de l'air chinoise transportant des missiles sol-air HQ-22 ont atterri à Belgrade[27].

            Même dans le domaine énergétique, le Kosovo se situe en un lieu stratégique, où plusieurs gazoducs, comme le Transadriatique (TAP) et le Balkan Stream, alimentent l'Europe en gaz, traversent la région et font l'objet de rivalités entre l'Union européenne et la Russie[28]. Bruxelles travaille à diversifier ses sources d'approvisionnement en gaz tandis que Moscou cherche à garder ses marchés d'exportation[29]. D'ailleurs, selon Adel El Gammal, Secrétaire général de l’Alliance européenne pour la recherche énergétique (EERA), l’Europe représente 70% des exportations de gaz russe[30]. Concernant la Serbie, 81 % de son gaz et 18 % de son pétrole et de ses dérivés pétroliers sont importés de Russie[31]. À la fin du mois de mai 2022, le gouvernement de Belgrade a obtenu un accord pour la fourniture de gaz russe sur une durée de trois ans[32].

            Les luttes d'influence autour des tensions Serbo-Kosovares ne concernent pas uniquement la sécurité et la défense, mais aussi les ressources énergétiques et la protection des zones stratégiques puisque le Kosovo pourrait également devenir un carrefour entre, d’une part la côte adriatique (l’Albanie et le port de Durres) et l’Europe orientale, et d’autre part la mer Égée (la Grèce du nord, le port de Thessalonique) et le cœur de l’Europe centrale[33].

            Les conséquences de ces rivalités se font encore sentir, malgré la guerre en Ukraine. Le Kosovo a accru ses efforts pour adhérer à l'UE et à l'OTAN[34], alors que la Serbie, tout en condamnant l'invasion russe de l'Ukraine à l'ONU[35] et accueillant des réfugiés ukrainiens sur son territoire[36], a refusé de rejoindre l'Union européenne dans ses sanctions contre la Russie[37].

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            “We will not walk away and leave a vacuum to be filled by China, Russia, or Iran”. Voilà les récents propos tenus par le président Joe Biden lors du sommet CCG+3 (Conseil de Coopération du Golfe + Égypte, Jordanie et Irak) en juillet 2022 à Jeddah, en Arabie Saoudite[1]. Son discours vient s'inscrire dans le contexte où les États-Unis travaillent à maintenir durablement leur influence au Moyen-Orient face à de nouveaux rivaux comme les trois pays mentionnés plus haut[2].

            Ces dernières années, les contacts entre pays arabes du Golfe, Iran, Chine et Russie se sont multipliés et consolidés[3]. Aussi, hormis le soutien militaire à la Syrie et à l'Iran, la Russie et la Chine ont signé de nombreux contrats d'armements avec les pays de la région, tels l'Égypte et les pays du CCG[4]. On peut encore songer aux sommets organisés entre le CCG et les rivaux des USA, comme lors de la récente visite du ministre russe des Affaires étrangères Lavrov, à Riyad en juin 2022[5]. Enfin, les négociations entre le CCG et la Chine en vue d'un accord de libre-échange sont en cours[6].

            Malgré les tensions actuelles dans la région, les représentants saoudiens ont rencontré à maintes reprises leurs homologues iraniens en vue d'une désescalade, voire d’un rétablissement des relations diplomatiques rompues depuis 2016[7]. Le Koweït et Oman ont plusieurs fois le rôle de médiateur dans les contentieux entre Riyad et Téhéran[8]. Après la fin de l'embargo en 2021, le Qatar avait proposé d'être médiateur entre Téhéran et le reste des pays du CCG[9]. De leurs côtés, les Émirats se préparent actuellement à envoyer un ambassadeur à Téhéran[10].

            Les intérêts énergétiques (gisement gaziers communs, ravitaillements en hydrocarbures), économiques (contrats commerciaux, accords de libre-échange) et stratégiques (le détroit d'Ormuz, le golfe d'Aden) expliquent ces rapprochements[11]. Toutefois, le maintien de l'influence américaine vise surtout les enjeux sécuritaires. La déclaration commune à l'issue du Sommet de Jeddah, portant sur « le renforcement de la coopération dans les domaines de défense, de sécurité et de renseignement, ainsi que sur le soutien de tous les efforts diplomatiques visant à réduire les tensions régionales »[12], nous le montre bien.

U.S President Joe Biden, greets Iraqi Prime Minister Mustafa Al-Kadhimi, left, before the start of a face-to-face bilateral meeting, on the sidelines of the Jeddah Security and Development Summit, July 16, 2022 in Jeddah, Saudi Arabia. Credit: Adam Schultz/White House Photo/Alamy Live News

            Mais toujours dans cette déclaration, les participants faisaient part de « leur engagement en faveur d'une coopération conjointe pour soutenir les efforts de reprise économique mondiale, faire face aux répercussions économiques de la pandémie et de la guerre en Ukraine, assurer la résilience des chaînes d'approvisionnement et la sécurité alimentaires et énergétiques, développer des sources d'énergie et des technologies propres, et aider les pays dans le besoin en répondant à leurs besoins humanitaires et de secours »[13].

            En outre, les dirigeants participants faisaient part de leur satisfaction de la création de la Task Force 153 et de la Task Force 59, qui « renforceront la coordination de la défense entre les Etats membres du CCG et le Commandement central des Etats-Unis, afin de mieux surveiller les menaces maritimes et d'améliorer les défenses navales en utilisant les technologies et les systèmes les plus récents »[14]. Les Etats-Unis ont aussi salué la décision du Groupe arabe de coordination (GAC) de fournir un minimum de 10 milliards de dollars US « en réponse aux défis de la sécurité alimentaire au niveau régional et international »[15].

            À l'occasion de la visite de Biden, l'Arabie saoudite et les États-Unis ont conclu 18 accords de coopération dans des domaines très variés (spatial, finance, énergie, santé) ainsi que pour connecter les réseaux électriques des pays du Golfe à celui de l'Irak, très dépendant de l'énergie importée d'Iran, rival des Américains comme des Saoudiens[16]. Les 18 accords s'inscrivaient dans le cadre du plan Saudi Vision 2030, et treize d'entre eux étaient signés avec le Ministère des Investissements, la Royal Commission for Jubail and Yanbu, ainsi que diverses autres entreprises du secteur privé[17]. L'Arabie Saoudite a signé des accords avec plusieurs sociétés américaines comme Boeing Aerospace, Raytheon Defense Industries, Medtronic, Digital Diagnostics, IKVIA et IBM[18]. L'autorité spatiale saoudienne (Saudi Space Authority) avait signé les Accords Artemis avec la NASA, en vue d'une exploration conjointe de la Lune et de Mars[19]. Les accords concernaient également la coopération bilatérale sur les technologies 5G et 6G[20], et appuyaient des projets saoudiens destinés à faire du Royaume un hub de l'innovation et de la technologie pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord[21].  Enfin, les accords consistaient en des partenariats en matière d'énergie nucléaire civile et d'uranium[22].

            Face aux influences russe, chinoise et iranienne croissantes au Moyen-Orient, le maintien de l'influence américaine peut perdurer dans le domaine énergétique, ainsi que celui de la défense.[23]

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Alexandra De Sutter on the current relation between Qatar, Turkey and Iran and its interest for the West.

            Malgré la fin de l'embargo saoudien de 2017-2021, les relations Doha-Téhéran se sont maintenues et approfondies. Il en est de même pour celles entre Doha et Ankara[1].

            Dans le cas de la Turquie, Ankara a élargi la capacité de sa base militaire à Doha et y a déployé plus de 5 000 soldats[2]. Plusieurs accords de défense ont été signés, comme celui de juin 2021 portant sur l'entraînement des pilotes en Turquie[3].  En mars 2022, au Salon international de la défense maritime de Doha (DIMDEX), le ministère qatari de la Défense et 4 entreprises de défense, dont deux turques, ont signé des accords et contrats portant sur les services et le transfert technologique[4].    

            De son côté, le Qatar a injecté 15 milliards de dollars dans l'économie turque, y compris au moment où la livre turque était fortement affaiblie (2018)[5]. En 2020, la Turquie a transféré 10 % des actions de la bourse d'Istanbul à l'Autorité d'investissement du Qatar[6]. Ce dernier a acheté pour 1 milliard de dollars le transfert de 42 % des actions de l'un des plus grands centres commerciaux de Turquie, le parc Istinye, situé rue Qatar à Istanbul[7]. Rien qu'en 2020, le total des investissements en provenance du Qatar vers la Turquie a représenté 22 milliards de dollars[8]. En 2021, ce montant est passé à 33.2 milliards $, ce qui fait du Qatar le deuxième plus grand investisseur du pays[9]. Depuis la création du Turkey-Qatar High Strategic Committee en 2014, 80 accords de coopération ont été signés dans maints domaines[10].

            De plus, durant l'embargo terrestre, maritime et aérien, Doha a reçu des approvisionnements par avions et navires turcs et iraniens[11].  Rien qu'en juin 2017, outre un premier navire chargé de 4 000 tonnes de nourriture ayant appareillé vers Doha, Ankara avait déjà envoyé au Qatar 105 avions cargo d'aide alimentaire[12]. Parallèlement, Téhéran envoyait quatre avions cargo de nourritures, et prévoyait d'envoyer quotidiennement 100 tonnes de fruits et légumes à Doha pour empêcher une crise alimentaire dans le pays[13]. Enfin, les vols de la compagnie Qatar Airways, une des plus importantes au monde, ont pu contourner l'embargo, transitant désormais par l'Iran et la Turquie[14].

            A part le soutien logistique et humanitaire, dans beaucoup de domaines, le Qatar a formé avec Téhéran et Ankara une alliance géopolitique - principalement face à l'Arabie Saoudite[15]. En 2017, peu après la mise en place de l'embargo saoudien, les trois pays ont signé un accord portant sur le commerce et le transport[16]. La fin de l'embargo en 2021, décidée lors du sommet d'Al Ula, n'a pas mis fin à la coopération entre Doha, Ankara et Téhéran[17].

            Par exemple, en décembre 2021, Turquie et Qatar se sont mis d'accord pour contrôler et gérer l'aéroport de Kaboul après le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan[18]. Les deux pays coopèrent aussi sur la Syrie (contre Al Assad), la Palestine (aide et soutien au Hamas) et la Libye (en faveur du gouvernement de Tripoli)[19]. Turquie et Qatar sont aussi connus pour leurs soutiens aux Frères musulmans, y compris au moment du Printemps arabe (2010-2011)[20].

            Dans le cas des relations entre Iran et Qatar, on observe la même continuité des relations bilatérales que dans le cas de la Turquie après l'embargo de 2017-2021. L’une des raisons est la possession partagée du plus grand gisement de gaz au monde (North Dome/South Pars), indispensable à Doha[21]. De plus, étant donné que le Qatar abrite la base américaine d'Al Udeid et craint une attaque éventuelle sur son territoire, le pays cherche à garder un maximum de diplomatie avec Téhéran[22]. D'ailleurs, Doha avait soutenu les accords de Vienne (JCPOA) en 2015[23] et travaille à la désescalade entre Washington et Téhéran, en tant que médiateur[24].

            Récemment, les 20-21 février 2022, le président iranien Raisi est arrivé à Doha, pour une visite d'état[25]. À l'occasion de sa première visite dans le Golfe, il signait 14 documents portant sur des accords avec les officiels qataris, en présence de l'émir[26]. Enfin, il assistait au 6ème sommet du Gas Exporting Countries Forum (GECF), qui s'est tenu cette année dans la capitale qatarie[27]. Outre sur l'énergie, les accords irano-qataris sont avant tout centrés sur le commerce et l'économie, ainsi que la culture, l'éducation et les infrastructures[28].

            Les enjeux actuels de l'alliance Iran-Turquie-Qatar sont multiples, en raison de la diversité des relations extérieures de ces trois acteurs régionaux. D'abord, la Turquie est dans l'OTAN et comme le Qatar, dispose des bases militaires américaines, à Izmir et à Incirlik. Or, l'Iran a des liens militaires avec la Russie et la Chine, et soutient le régime syrien d'Al Assad[29]. Même dans le conflit ukrainien, l'Iran et la Russie se sont mis d'accord concernant la livraison d'armements (drones) ainsi que sur le gaz et pétrole[30]. De son côté, la Turquie a livré des drones Bayraktar à l'Ukraine[31]. Quant au Qatar, il a juste « appelé toutes les parties à faire preuve de retenue et à résoudre la crise par des moyens diplomatiques »[32]. Il peut néanmoins devenir une source alternative au gaz russe pour l'Europe[33].

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            Le 13 mars dernier l’Iran bombardait Erbil, grande ville du Nord-Est irakien majoritairement habitée par les populations kurdes du pays. Téhéran revendique les frappes qui s’abattent sur des infrastructures que les Gardiens de la Révolution affirment être des complexes israéliens d’entraînement, mais également des centres stratégiques.

            Il s’agit donc d’une rivalité, d’une inimitié qui sont anciennes, profondément ancrée dans les consciences et qui font écho dans notre actualité. Depuis 2012, de nombreux raids aériens ont été menés par Israël contre la Syrie. Ces tensions - dont le lien pourrait être aisément tissé entre les efforts des États-Unis et de Tel-Aviv pour la déstabilisation du régime syrien de Bachar El-Assad, et la récente guerre civile dont a souffert la société syrienne - ont mené à une augmentation du nombre d’interventions israéliennes contre la Syrie, aidée par l’Iran.

            En date du 07 mars 2022 Israël bombardait la banlieue de Damas, faisant deux morts. Un bilan restreint mais une action belligérante qui n’a d’autre objet que la détermination hébraïque de déposer le dirigeant syrien. La raison d’une telle volonté est à chercher dans les relations particulières qui existent entre Damas et Téhéran, toutes deux sièges de pays à majorité chiites, toutes deux opposées à la domination d’Israël au Moyen-Orient.

            En réponse aux frappes près de Damas, que Tel-Aviv dit avoir mené contre les forces iraniennes, Pasdaran, l’Iran a fait bombarder la ville d’Erbil dans le Kurdistan irakien, prenant prétexte de la présence de complexes militaires étasuniens et israéliens. Washington et l’État hébreux ont immédiatement démenti la présence de bases leur appartenant, rappelant que seul un Consulat américain est présent dans cette ville. De nouvelles sanctions ont été imposées à Téhéran.

            Toutefois, l’Iran faisant partie de l’alliance économique, militaire et énergétique sino-russe, les sanctions qui lui sont imposées ont de moins en moins d’effets, sinon du côté européen. En effet, les positions européennes sont floues, certains pays comme la France, l’Allemagne ou l’Italie tentent de conserver leurs parts de marché dans le pays, mais demeurent timides, devenant des partenaires commerciaux et diplomatiques incertains dès lors que les États-Unis les rappellent à l’ordre.

            Dans le contexte de la guerre de Russie australe contre l’Ukraine, dont les territoires du Donbass, c’est-à-dire les régions russophones de Donetsk et de Louhansk, sont l’enjeu principal, l’Iran s’est rangé aux côtés de la Russie, attendant une prise de position de la Chine. La situation de la région prenant le pas sur toutes les autres crises du moment, Israël a profité de cette fenêtre de tir pour s’en prendre aux forces iraniennes en Syrie, tentant de déstabiliser davantage le régime d’El-Assad. Les frappes lancées depuis les territoires proches de l’Irak par les forces révolutionnaires d’Iran sont un message pour Israël, les États-Unis et le reste de l’Occident ; Téhéran demeure prêt à défendre ses intérêts, ceux de ses alliés, mais surtout à mener à bien son projet de puissance dans la région, voulant contrer les désirs de Tel-Aviv.

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            Le Moyen-Orient est le terrain d’anciennes rivalités qui ont pris un tour inquiétant ces dernières décennies, notamment depuis la fondation de l’État d’Israël en 1948. Ces tensions sont la conséquence d’oppositions éthiques, religieuses, économiques en vue de la domination de la région par l’une ou l’autre des puissances en présence. En effet, d’un côté les pays arabes de confession musulmane sunnite, qui comptent les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Qatar, et l’Irak – ayant des rapports assez conflictuels depuis plusieurs siècles – d’un autre, la Turquie, également sunnite mais d’une ethnie différente de celle des arabes, à laquelle est encore opposée sur bien des points. Il y a encore l’Iran, de religion musulmane, chiite cependant, ennemi juré des sunnites, allié au Liban dont l’histoire est davantage affiliée aux Chrétiens catholiques d’Occident mais gouverné par des Chiites. Enfin, au centre de cette région instable se trouve le jeune État israélien, juif, qui semble déterminé à reconquérir les territoires perdus lors de la domination romaine à partir de 63 avant Jésus-Christ. La situation est de plus en plus critique, d’autant que plusieurs crises ont éclaté au cours du dernier siècle et dans celui-ci : la guerre de 1948, la guerre de Suez en 1956, la guerre des Six Jours en 1967, la guerre d'usure en 1967, la guerre du Kippour en 1973, la première guerre du Liban en 1982, et la seconde guerre du Liban en 2006. De nos jours, l’un des principaux sujets de tensions et d’inquiétudes est un petit pays de la péninsule arabe, le Yémen.

            Ravagé par une guerre civile depuis 2014, et pour la deuxième fois depuis 1994[3], ce pays souffre d’un conflit moins médiatisé par rapport à ceux d'Iraq et de Syrie. Les partis en opposition sont d’un côté les Houthis, qui contrôlent une grande partie du Nord du territoire (dont la capitale Sanaa), et de l’autre les forces gouvernementales yéménites restées fidèles au président Hadi en exil, majoritairement présents dans le Sud et l'Est du Yémen[4]. D'autres belligérants sont impliqués, comme les séparatistes du Conseil de transition du Sud, qui contrôlent Aden et ses environs[5].

            En analysant les causes et le déroulé de cette guerre, nous remarquons que le Yémen, malgré qu'il soit le pays le plus pauvre de la péninsule arabique, désigne avant tout un endroit stratégique[6]. Effectivement, situé le long du détroit de Bab el Mandeb, soit à mi-chemin entre la Mer rouge et le golfe d'Aden, il est un carrefour pour le trafic maritime en provenance du canal de Suez (Égypte), du golfe d'Aqaba (Arabie saoudite et Israël) et de l'Océan Indien[7]. Il est situé en face de Djibouti, qui abrite des bases militaires françaises, américaines et chinoises, ainsi que de la Somalie, confrontée à la fois à la piraterie et au radicalisme islamique[8].

            La raison pour laquelle ce conflit armé est à prendre au sérieux, au-delà des morts qu’il provoque, est qu’il concerne la région de la péninsule certes la plus pauvre de tout le territoire arabe, mais stratégique. En effet, affleurant au Détroit de Bab El-Mandeb, à mi-chemin entre la Mer rouge et le Golf d’Aden, le Yémen est un carrefour commercial maritime important pour toutes les marchandises en provenance du Canal de Suez, qui est contrôlé par l’Égypte, du Golf d’Aqaba que se partagent Israël et l’Arabie saoudite, mais également de l’Océan indien.

            Actuellement, deux puissances se disputent le contrôle du Yémen : l'Iran et l'Arabie saoudite[9]. Les Houthis, chiites comme la majorité des Iraniens, sont soutenus logistiquement et militairement par Téhéran, et disposent même du soutien du Hezbollah libanais, également appuyés par l'Iran[10]. Cet appui iranien représente un danger pour Riyad qui y voit une manœuvre d’encerclement de la part des Chiites, alors que les tensions sont déjà à leur comble entre elle et Téhéran. Tensions présentes dans d'autres pays arabes, comme au Bahreïn, en Irak, en Syrie et au Liban[11]. Ces problèmes sont le prétexte invoqué par l'Arabie saoudite à son intervention dans le conflit yéménite depuis 2015, formant une coalition avec plusieurs pays alliés multipliant les raids sur les zones contrôlées par les Houthis (Opérations Tempête décisive et Restaurer l'espoir), ainsi qu'à travers un soutien militaire des forces gouvernementales yéménites[12]. Les Émirats arabes unis, alliés de Riyad, soutiennent de leurs côtés les forces séparatistes du Sud, aussi rivaux des Houthis[13].

            Les belligérants ont reçu de nombreuses aides de l'étranger en matière d’armement. Dans le cas de l'Arabie saoudite, Ryad a bénéficié des soutiens américain et britannique, notamment pour la formation de ses pilotes de chasse pour des avions fabriqués par les États-Unis ou par l’Europe[14] - c’est-à-dire par la France avec les ventes de Rafales. Sur le plan maritime, l’Arabie saoudite dispose aussi d’équipements européens et américains[15].  Les Saoudiens cherchent aussi à se réapprovisionner en missiles auprès des Américains[16].  Hormis les États-Unis et la Grande-Bretagne, la France, le Canada, l'Italie et l'Espagne fournissent aussi des armes à la coalition menée par l'Arabie saoudite[17]. La Belgique fait également partie des pays européens ayant autorisé les exportations vers l'Arabie saoudite[18]. Le Royaume saoudien, du fait de son engagement dans la guerre au Yémen, est le premier importateur mondial d'armement, avec un accroissement de 61% de son approvisionnement entre 2016 et 2020[19]. Riyad a acheté à la France pour près d’1 milliard 400 millions d’euros de matériel de guerre, et des armes françaises ont été trouvées au Yémen[20]. L'Arabie Saoudite a été l'an dernier, le troisième client de l'Italie à l'échelle du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord[21]. D'après les numéros de série qui figuraient sur les fragments de bombes retrouvés, il était indiqué qu’elles furent fabriquées par l'entreprise italienne RWM, filiale de l'Allemand Rheinmetall[22].

            Les alliés des pays du Golfe sont fournis en armes modernes par l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis[23]. En revanche, au Yémen, les armes utilisées par l’armée yéménite sont essentiellement de conception russe, tandis que les Houthis bénéficient notamment du soutien de l’Iran par l’intermédiaire de livraison de missiles et d’armes anti-tanks[24].  Les Houthis ont récemment acquis un nouveau type de drone de type Delta et un nouveau modèle de missiles de croisière terrestres[25]. Les Houthis disposent de plusieurs types de drones, parfois fabriqués localement : le Samad-3, qui peut être équipé de 18kg d'explosifs, avec une portée de 1.500 kilomètres, et une vitesse de pointe de 250 km/heure ; les Qasef-1 et Qasef-2, avec une portée de 150 km pour une charge de 30 kg d'explosifs; enfin les drones de reconnaissance de courte portée comme le Rased (35 km), le Hudhhud (30 km) et le Raqib (15 km)[26].  

            Comme le Liban avec le Hezbollah, l'Irak avec ses milices pro-iraniennes, la Syrie avec Al Assad, le Yémen est un des principaux fronts opposant l'Arabie saoudite sunnite et l'Iran chiite[27]. Il ne s'agit non pas seulement d'une guerre civile, mais aussi d'une guerre d'influence[28]. De plus, le conflit yéménite a rendu le pays économiquement exsangue[29]. En plus de la plus grave crise humanitaire du monde, les habitants sont souvent privés de l'aide internationale, détournée à la fois par les Houthis et par le gouvernement central[30]. D'après le directeur du Programme alimentaire mondial (PAM), rien que dans la capitale de Sana'a, seuls 40 % des dons parviennent aux citoyens dans le besoin, et un tiers seulement reçoit de l'aide dans le bastion nord de la milice rebelle[31].

            Ces derniers mois, l'impasse dans lequel ce conflit est tombé, les bombardements houthis des territoires saoudiens et émiratis, voient l'Arabie saoudite et l'Iran multiplier les négociations en vue de normaliser leurs relations, rompues depuis 2016, et mettre un terme aux combats[32]. Leurs résultats restent incertains...

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            Depuis 2013, après le soulèvement de Maïdan à Kiev, le sort du pays reste dans l'impasse. Au niveau société, l’opinion est partagée ; d’un côté les nationalistes et pro-occidentaux, de l’autre les pro-russes. L’Ukraine fait notamment face à une crise frontalière, suite à l'annexion de la Crimée par la Russie et au conflit dans le Donbass qui dure depuis 2014, ayant fait plus de 14 000 morts[1].

            Du fait de ces troubles internes et externes, l'Ukraine se trouve prise en étau entre deux sphères d'influence[2]. En effet, il y a du point de vue de la diplomatie extérieure le fait que la Russie veuille maintenir l'Ukraine dans sa zone d'influence, alors que les pays occidentaux, de l'UE et de l'OTAN, cherchent à accroître leur présence dans le pays pour des raisons stratégiques – notamment pour l’accès à la Mer noire[3]. Par ailleurs, à l’instar de la Géorgie, l'Ukraine a déposé sa candidature à l’entrée dans l’Union européenne ainsi qu'à l'OTAN, ce à quoi la Russie s'oppose fortement[4], pour des raisons évidentes de défense – dont les récents mouvements militaires sont à entendre en ce sens.

            Depuis 2014, les contacts entre l'UE, l'OTAN et l'Ukraine, les partenariats, les exercices militaires ainsi que les relations bilatérales avec les pays membres de l'OTAN, se sont accrus et approfondis.

            Il est possible de citer, à titre d’exemple, qu’au niveau européen un accord de libre-échange UE-Ukraine et un programme européen d'exemption de visa pour les ressortissants ukrainiens furent signés en 2017[5]. En octobre 2021 s'est déroulé à Kiev le 23ème sommet UE/Ukraine[6] et en décembre de la même année, un sommet européen avec les pays du Partenariat oriental, dont l'Ukraine, s'est déroulé à Bruxelles, dans le but de tenter une désescalade des tensions avec la Russie[7].

            L'OTAN maintient, malgré l'opposition russe, sa politique de porte ouverte pour une adhésion de l'Ukraine à l'alliance[8]. Le soutien de l'OTAN se décline sous la forme d’un ensemble de mesures d’assistance et d'aide, à travers 16 programmes de renforcement des capacités et des fonds d’affectation spéciale[9]. Par ailleurs, au sommet de l'OTAN, Varsovie 2016, la plateforme OTAN-Ukraine pour la lutte contre les pratiques de guerre hybride a vu le jour[10]. Récemment, l'Agence OTAN d'information et de communication (NCIA) et l’Ukraine ont signé un nouveau mémorandum d'accords, en matière de coopération sur des projets technologiques[11].

            Concernant les états membres, à la fois de l'OTAN et de l'UE, on remarque plus particulièrement que la Pologne et les pays baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie) sont les plus impliqués dans les partenariats et l'approfondissement des intérêts communs avec l'Ukraine, y compris dans la défense. On peut nommer le cas du Triangle de Lublin, créé en juillet 2020, et réunissant la Pologne, la Lituanie et l'Ukraine[12]. Il faut, pour comprendre cette proximité plus grande entre ces nations, se remémorer leur histoire ; l’ancienne république de Pologne-Lituanie, puis le Grand-Duché de Pologne ont toujours été un enjeu majeur de la stratégie de contrôle de la région, ou par les Polonais, ennemis des Prussiens mais grands alliés des Français, ou par l’Empire russe. Il faut également se rappeler que Kiev fut la première capitale des Rus jusqu’à leur installation à Moscou. L’Ukraine est un pays dont l’indépendance est le fruit d’accords qui ne sont pas vieux, dont la signature date de 1991. Le pays a tout à tour été sous domination de la République de Pologne-Lituanie, puis des Tsars de Russie, pour lesquels la région fut le grenier à céréales jusqu’à la chute de l’Union soviétique en 1989.

            Toutefois, la Russie compte maintenir ses positions, accroissant le nombre de troupes russes le long de la frontière ukrainienne (situation avant le 24 février 2022), organisant plusieurs exercices militaires avec ses alliés, comme dernièrement avec la Biélorussie[13]. La Chine déclarait il y a peu son soutien à la Russie dans cette crise[14]. Certains pays membres de l'OTAN font même part de leurs scepticismes sur l'entrée de l'Ukraine dans l'alliance, notamment en raison des intérêts économiques, sociopolitiques et énergétiques avec la Russie (France, Italie, Allemagne et Hongrie)[15]. Il faut comprendre ici les tensions que créent les accords sur l’exploitation et l’acheminement du gaz russe jusqu’en Europe.

            Les nombreuses rencontres russo-américaines et les visites en Europe d’officiels américains, comme celle du Secrétaire d'État Blinken, préoccupé par la situation actuelle en Ukraine, montrent que le pays demeure plus que jamais une frontière Est-Ouest, non seulement du point de vue militaire et socio-économique, mais également du point de vue géopolitique[16]. Malgré les efforts américains et français pour éviter une escalade russo-ukrainienne, l'avenir de cette "frontière" reste incertain[17].

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